Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a récemment publié une note analysant en profondeur la fiscalité des jeux d'argent et de hasard (JAH) en France. Cette étude met en lumière les complexités et incohérences du système actuel, tout en proposant des pistes de réforme pour une fiscalité plus rationnelle et efficace.
I. Un secteur économique atypique sous haute surveillance
Les JAH constituent une activité économique particulière en France. Bien qu’interdits en principe, ils bénéficient de dérogations légales visant à canaliser les joueurs vers une offre régulée. Le marché est strictement encadré, avec des opérateurs agissant sous monopole (comme la Française des Jeux pour les loteries) ou dans un cadre fortement réglementé (paris sportifs en ligne, casinos).
Cette régulation répond à plusieurs objectifs fixés par la loi :
- prévenir le jeu excessif et protéger les mineurs ;
- garantir l'intégrité des opérations de jeu ;
- lutter contre la criminalité et le blanchiment d'argent ;
- préserver l'équilibre entre les différentes filières du secteur.
Le secteur représente des enjeux financiers considérables, avec 48 milliards d'euros de mises en 2023 pour les jeux en ligne et de loterie, auxquels s'ajoutent environ 40 milliards pour les casinos.
II. Une fiscalité spécifique complexe et peu lisible
Pour répondre aux risques inhérents aux JAH et capter une partie de la rente des opérateurs, une fiscalité spécifique élevée a été mise en place. Elle représente en moyenne 45 % du produit brut des jeux (PBJ), soit la différence entre les mises et les gains reversés aux joueurs. Cette fiscalité se caractérise par sa complexité :
- 33 prélèvements différents ;
- des taux variant de 22 % à 67 % selon les activités ;
- des assiettes et des affectations diverses.
Le CPO souligne le manque de cohérence de ce système, avec des écarts de taux injustifiés entre les différents types de jeux. Par exemple, les paris sportifs et le poker en ligne, pourtant considérés comme plus addictifs, bénéficient de taux plus faibles que d'autres activités.
III. Les recommandations du CPO pour une fiscalité rationalisée
Face à ce constat, le CPO formule plusieurs recommandations visant à simplifier et rationaliser la fiscalité des JAH :
1. Recodification et transparence
Le Conseil préconise de recodifier l'ensemble de la fiscalité spécifique des JAH dans le code des impositions sur les biens et services. Cette mesure permettrait une meilleure lisibilité du dispositif. Il recommande également de documenter systématiquement les dépenses fiscales liées à ce secteur.
2. Unification des prélèvements
Le CPO propose de remplacer la majorité des prélèvements actuels par une taxe unique assise sur le PBJ. Seules quelques exceptions seraient maintenues, comme la taxe sur les paris hippiques en ligne ou la CSG sur les gains des machines à sous.
3. Rationalisation des taux
L'une des recommandations phares consiste à rationaliser les taux de taxation en les faisant dépendre explicitement des objectifs de politique publique. Le CPO suggère une formule de calcul prenant en compte :
- le taux de joueurs mineurs ;
- la part des joueurs excessifs dans le chiffre d'affaires ;
- le niveau de rente dont bénéficie l'opérateur.
Cette approche permettrait d'adapter la fiscalité aux risques spécifiques de chaque type de jeu et à la situation économique des opérateurs.
4. Simplification des circuits d'affectation
Le Conseil recommande de transférer la majeure partie des prélèvements à la branche maladie de la Sécurité sociale, en contrepartie d'une reprise de TVA par l'État. Les affectations aux opérateurs de l'État seraient remplacées par des dotations budgétaires. Une part du prélèvement resterait affectée au bloc communal.
5. Taxation des dépenses promotionnelles
Pour lutter contre l'augmentation jugée excessive des dépenses de marketing des opérateurs, le CPO propose d'instaurer une taxe comportementale sur l'ensemble des dépenses promotionnelles (publicité, sponsoring, gratifications). Cette taxe, à un taux suffisamment dissuasif, serait affectée à la Sécurité sociale.
6. Imposition des gains des joueurs
Enfin, le Conseil suggère d'étudier la possibilité d'assujettir les gains nets des joueurs à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, au-delà d'un certain seuil (proposé à 500 € par an). Cette mesure viserait à introduire plus de progressivité dans l'imposition des JAH et à envoyer un signal dissuasif aux joueurs.